extrait...
J’opte pour le regard esthétisant, avec épigraphe de femme moderne inconnue. (« Je n’arrive pas à expliquer ma tendresse, ma tendresse, tu comprends ? ») Je ne suis pas un rat de bibliothèque, je comprends à peine le musée de la place, je n’ai pas de transes de production, je n’ai pas la vocation de gitane, et j’ai aussi ce qu’on appelle l’oeil aux péchés. Même pas ici ? Je récite WW (Walt Whitman) pour toi :
« Amour, ce n’est pas un livre, c’est moi, c’est moi que tu tiens comme ça et c’est moi qui te tiens (est-ce la nuit ? étions-nous ensemble et seuls ?), je tombe de ces pages dans tes bras, tes doigts me stupéfient, ton souffle, ton pouls, je plonge des pieds à la tête, délice, et ça suffit —
Suffit les regrets, les secrets, l’impromptu, suffit le présent glissant, suffit le passé en video-tape impossiblement véloce, repeat, repeat. Reçois ce baiser seulement pour toi et ne m’oublie plus. J’ai travaillé toute la journée et maintenant je me retire, maintenant je pose mes lettres et traductions d’origines multiples, m’attend une sphère plus réelle que celle rêvée, plus directe, rayons de lumière autour de moi, Adieu !
Rappelle-toi ces mots un à un. Je pourrai revenir. Je t’aime, et je m’en vais, moi incorporel, triomphant, mort. »
Ana Cristina Cesar (1952-1983), Gants de peau & autres poèmes
Traducteur : Michel Riaudel
Issue d’une famille protestante, Ana Cristina Cesar naît à Rio de Janeiro en 1952. Après des études de cinéma et de lettres, elle part vivre en Angleterre en 1979.
Lectrice d’Emily Dickinson, de George Eliot et de Sylvia Plath, son travail d’études sur la traduction littéraire porte sur un autre grand nom de la littérature féminine : Katherine Mansfield. En effet, en 1980, elle propose une version commentée de la nouvelle Bliss dont le texte a été une grande influence pour la poétesse. On y retrouve même des échos dans l’opuscule Gants de peau, édité en 1981. En 1982, elle réunit cet ouvrage et ses deux autres recueils Cenas de abril et Correspondência completa dans une anthologie intitulée A teus pés.
Figure de proue de la poésie dite marginale, Ana Cristina Cesar se suicide en 1983.
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